jeudi 5 mars 2009

HERGLA par Mme farhat




HERGLA - PROMENADE DANS LE TEMPS

« Le temps scintille et le songe est savoir » dit Paul Valery dans le « Cimetière marin ».

A Hergla, que nous racontent les flots, les pierres, la terre et les hommes ? Une longue histoire que vous aimerez, je l’espère, lire ou écouter, assis dans un petit café de notre village, ou rêveur devant la mer.

Dans la nuit des temps, dit le géologue, les houles marines et les vents entourent un modeste îlot rocheux, accumulent grain à grain le sable. Inlassables, ils dessinent un tombolo, une presqu’île. L’îlot initial est rattaché au continent par une bande de terre est-ouest, et par de belles plages au nord et au sud ; il ressemble à un oiseau dont le bec plonge dans la mer dont queue et ailes entourent deux vastes sebkhas.

Sable, mer et marais, un paradis pour les escargots dont les multiples espèces font, de leur coquilles, partie du sol : Gastropodes terrestres et marins terrestres et marins, voilà de quoi attirer l’homme préhistorique dont quelques silex taillés disent la présence.

Mille ans avant J.C, dit l’historien : Ecoutez la mer nous raconter les phéniciens aventureux, fondant les premiers comptoirs : Hadrumète (Sousse)-Utique, puis Carthage en 814. les carthaginois édifient un empire maritime puissant, tandis que les population numides s’assimilent peu à peu à ces civilisateurs venus d’Orient, adoptent leurs dieux, acquièrent le savoir des agronomes, des artisans, des commerçants puniques. Hergla n’est alors qu’un lieu de passage sur la route littorale reliant Carthage à Hadrumète, et peut-être aussi un abri pour les galères de Carthage.

Cependant Rome monte en puissance, affronte Carthage- Le fracas des armes retentit sur mer et sur terre. Carthage vaincue (146 Av. J. C), ruinée, maudite, suivit dans les mémoires. Ses dieux, sa langue, son art de vivre, ses coutumes, se mêlent à ceux des conquérants romains.

Ecoutons les pierres : elles nous disent ce peuple bâtisseur dont on lit sur le sol tunisien, les villes, les routes, la rigueur bien structurée de la « Pax Romana ».

Ici naît HORREA COELLA, la Hergla romaine : son nom vient de celui de la famille fondatrice, les COELII, et de son habitude d’engranger ses récoltes dans de vastes silos les Horrea. Située au nord de la Bys acène, sous la dépendance politique et économique d’Hadrumetum (Sousse), capital de la province, la ville s’étend sur le site actuel de Hergla et plus largement au nord.

On n’y trouve plus trace de grands monuments capitole, forum, sans doute emplantés, au plus haut de notre Hergla. Disparus, détruits, remaniés. Et nul ne dira le secret des pierres taillées, réemployées dans les constructions actuelles, noyées de chaux dont nous aimons la beauté. Seules se dressent les fières colonnes ornant les maisons de Dieu, les mosquées

La population berbère romanisée n’oublie pas la leçon punique. Elle s’adonne à l’agriculture, essentiellement à la culture du blé (dont Rome est fortement demandeur), de l’orge, du millet, aux cultures maraîchères, à l’arboriculture.

Les activités halieutiques sont évoquées par les thèmes de la mosaïque récemment mises à jour. Le rivage de Hergla, avec sa large plate-forme

Continentale et ses hauts-fonds, est favorable à la prolifération d’une faune variée de poissons sédentaire. S’y ajoutent les migrateurs et les aventures (ces poissons qui s’approchent de la côte à certains moments de l’année).

Aujourd’hui au marché de Hergla, on peut voir, les jours de pêche heureuse, le rouget, la daurade, le beau (et rare) mérou de roches, tels que les mosaïstes nous les ont représentés.

On suppose à Hergla l’existence d’une industrie de la pêche, telle qu’elle est bien établie en de nombreuses cités du littoral tunisien. On interprète quelques vestiges au nord de la ville, très délabrés par la mer, comme des viviers et des cuves de salaison : on y préparait les salsamenta (poissons salés surtout sardines) et le garum (sauce au poisson fortement épicée). Commercialisées en amphores et en pots, ces produits en compagnie du blé, quittaient le port de Hergla vers l’Italie.

Commerce par mer, commerce par terre aussi : la route littorale d’aujourd’hui, sur l’ancien tracé punique, puis romain, joint Hadrumetum (Sousse) à Hergla.

Elle continuait au nord, le long du golfe vers Pupput (Hammamet).

Cette voie offrait le trajet le plus rapide entre Carthage et Sousse, aux commerçants et aux courriers de l’administration romaine.

Sans doute les plus religieux de ces voyageurs, s’arrêtaient-ils en un lieu de prière : dès le III° siècle, le christianisme s’est implanté sur la terre d’Afrique. Evoquons ici ECCLESIA HORREA COELIENSIS, l’église chrétienne de Hergla. En longeant la mer vers Sousse, on peut voir, au haut de la falaise, un troupeau symbolique autour de son pasteur, cherchant sa pâture parmi les vestiges d’une basilique et de son baptistère. Là, les évêques menèrent leurs ouailles sur les sentiers du christianisme, parfois persécutés, parfois tourmentés de querelles dogmatiques.

Cependant la puissance romaine décline. Les Vandales venus du nord, ravagent l'oeuvre des hommes (6°s), puis viennent les Byzantins ; avec eux, la paix musclée et à Hergla, la construction d'une forteresse. (7°s)

La cité est appauvrie, décadente. Les paysans, au jour le jour, attendent... Le soleil levant jaillit de la mer, symbole encore : c'est de l'est que vient la lumière : surgissent alors les cavaliers d'Allah ! Tout est élan, foi, ardeur irrésistible autour d'OKBA IBN NAFI (qui fonde Kairouan en 670). A ses compagnons venus d'Arabie, s'unissent les foules de berbères toujours plus compactes, gagnées à l'islam. HERGLA, disent les auteurs anciens résiste quelques jours; ses habitants sont exterminés. Repeuplée plus tard par les arabes, elle jouera un rôle stratégique. Les souverains Aghlabides restaurent les remparts, créent deux Ribats (ces forteresses où veillaient les moines soldats). Deux ponts sont édifiés au IX°s, l'un au nord encore intact aujourd'hui, l’autre au sud, le plus important, (utilisé jusqu'en 1969, année ou des inondations démantelèrent ses arches). Les Fatimides poursuivent l'œuvre défensive des Aghlabides : en 944, l'abri des fortifications de Hergla permet au général fatimide Bushra el Mahdi de briser l'élan du chef berbère, lancé vers Sousse et Mahdia, Abou Yazid , dit "l'homme à l’âne ".

Les combats s'éloignent. Hergla retrouve la paix et la prière. Disons ici la belle légende de " l'homme au foulard ", Sidi Bou Mendil, originaire du Maroc ; revenant du pèlerinage à la Mecque par la mer, miraculeusement porté par son foulard, il s'établit à Hergla, dont il est le saint patron, tandis que son frère qui l’accompagnait, continuait vers le nord et fondait son ermitage sur le roc de Takrouna . C'est à la dynastie Hafside (XIII°s) que Hergla doit la mosquée de Sidi Bou Mendil, construite sur le tombeau du saint.

A Hergla, au temps de la course, les navires faisaient escale, les chevaliers de Malte y renouvelaient leur provision d’eau douce et les ottomans y établirent une garnison

Un épisode encore dans la mémoire du village : mal nourris par leurs maigres cultures, les habitants s’organisent en bande brigande, sous la férule d’un robuste chef dit hercule. Les caravanes dont le va-et-vient est continuel entre Tunis et Sfax, doivent payer tribut. Le Bey se fâche, fait tonner ses canons, disperse les habitants complices, implante une nouvelle population hétérogène, mosaïque de familles venues de tous les points de la Tunisie et… la paix règne sur la route

Hergla, redevient un village tranquille. Le herglien tourne le dos à la mer. Agriculteur, il soigne son oliveraie, implantée par les Husseinites, ses cultures maraîchères, son élevage d’ovins et de caprins. Le chameau, l’âne, le mulet sont ses compagnons de labeur … et n’oublions pas la diligente épouse.

Puis vint l’ALFA ! L’alfa, nous la connaissons bien, cette graminée venue des steppes du sud-ouest, qui arrive à Hergla en bottes serrées. Les mères et les sœurs les assouplissent en les immergeant toute une nuit dans la mer. Il faut voir leur va-et-vient entre mer et village, lorsque, bien droites, drapées dans leur dakhlila rouge vif, la botte d’alfa sur la tête, elles passent, fières silhouettes découpées sur le bleu du ciel et de la mer, sur la blancheur des murs.

L’alfa nous a quelque peu piqué les doigts, et l’art de la tresser nous fascine tous. Les hergliens sont passés maître ès- scourtins et leur ouvrage trouve dans les huileries du Sahel un vaste débouché. A l’abri des regards, dans la fraîche skiffa, les femmes, les jeunes filles, les enfants tressent le scourtin, confectionnent aussi, sur un métier vertical, d’épaisses nattes : brins d’alfa aux

extrémités libres de la face inférieure, forment des touffes qui donnent à la natte le confort d’un matelas, et piègent un éventuel scorpion … Les hommes, adossées aux murs ombrés des placettes et des mosquées, sont des scourtiniers habiles. Le Scourtin amène une certaine aisance : Il est monnaie d’échange à la manière d’un billet de banque. En prévision d’un événement coûteux, fête de mariage ou de circoncision, les scourtins s’accumulent en hautes piles dans les skiffas : voilà une sûre caisse d’épargne …

Lieux de prière et de méditation, les mosquées nous font signe. La plus ancienne, dite BEIT ALLAH, se trouve en haut de la ville, tout près du dispensaire construit sur l’ancien ribat. C’était la mosquée des moines soldats. Sa salle de prière montre deux structures architecturales : deux travées de voûtes, reposant sur huit colonnes antiques, représentent la partie ancienne. Un agrandissement ultérieur y adjoint deux autres travées que soutiennent des piliers maçonnés. Le minaret est court et carré. La grande mosquée de Sidi Bou Mendile domine le cimetière marin et le port de pêche. Modifié et agrandie au XVIII°s, on aime l’élégance de ses proportions. Le portique aux arcades en plein centre, vous invite. La salle de prière est un lieu de sérénité. Le regard suit les lignes des arcs, des colonnes antiques, de la vaste coupole construite sur tuyaux de terre cuite.

Hergla d’aujourd’hui, nous retrouvons sa longue histoire, ses rêves et ses réalités. Il faut parcourir ses ruelles ombreuses. Leurs murs sous les multiples couches de chaux, disent la main douce, ennemie des angles vifs. Les portes en plein centre, peintes d’un bleu profond, laissent parfois deviner les scourtinières assises en rond. Les petits jardins des placettes, les palmiers, les ficus nouveaux et bienvenus, mettent dans l’harmonie du blanc et du bleu coutumière, une vive note verte qui surprend et charme, avec parfois la torche d’un géranium en fleurs. Hergla évolue bien sûr, ses maisons prennent de l’étage, leur façades s’ornent de fenêtres, de balcons à colonnettes, de faïences, déroutante peut-être, mais naïves et touchantes. Les habitants souriants, nous saluent au passage. Les enfants rieurs courent et se bousculent autour des visiteurs.

Monique Farhat

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est très poétiquement écrit et bien documenté ..;. Pour les historiens et pour les amoureux de la Tunisie ..On sent les odeurs ,la fraicheur et on voit les couleurs et les gens qui vivent à Hergla ..Merci .

Unknown a dit…

mantap BOLAVITA